La passion des mots
Ce que j'écoutais, ce que je guettais, c'étaient les mots, car j'avais la passion des mots ;
en secret, sur un petit carnet, j'en faisais une collection,
comme d'autres font pour les timbres.
J'adorais grenade, bourru, vermoulu et surtout manivelle ;
et je me les répétais souvent quand j'étais seul, pour le plaisir de les entendre.
Mon père et mon oncle encourageaient cette manie, qui leur paraissait de bon augure,
si bien qu'un jour, et sans que ce mot se trouvât dans une conversation
(il en aurait été le premier surpris),
ils me donnèrent anticonstitutionnellement en me révélant que c'était le mot le plus long de la langue française.
Il fallut me l'écrire sur la note de l'épicier que j'avais gardée dans ma poche.
Je le recopiais à grand-peine sur une page de mon carnet, et je le lisais chaque soir dans mon lit ;
ce n'est qu'au bout de plusieurs jours que je puis maitriser ce monstre
La Gloire de mon Père Marcel Pagnol